Le décor : New Providence

Nassau, 1716. Une brise chaude comme le rhum dans la gorge. L’ambre des nuits fauves qui brille et ruisselle sur les verres des lampes. Des cahutes qui émergent des buissons, des tentes sur le sable, des maisons de bois et de guingois. La sueur sur les fronts noirs, tannés, dorés, ridés. Les couleurs arrogantes des fleurs et des poissons. Leur odeur, capiteuse et entêtante. Derrière les hommes, un sillage invisible, entêtant, de goudron et de poudre à canon. Le musc et le santal, la rose et les effluves de poisson et de viande fumée qui restent sur les mains des femmes, dans leur cou. Âcreté de la pisse dans la terre battue, les haut-le-cœurs irrépressibles au-dessus des tas de merde qui s’amoncellent sous les fenêtres. Le palais frémissant sous l’acide sucré des fruits, le sel qui sèche sur les pieds calleux, le sel d’une peau moite, frissonnante de désir, le sel de la viande, le sel qui rend les vêtements raides et les cheveux secs. Le sable entre les doigts, la douceur d’un pétale, les écailles du gecko et celle de la daurade. La carcasse d’une langouste en morceaux, celle d’un homme mort dans un talus. La corne au fond des paumes, les poils qui se hérissent un bras rugueux, la barbe qui trempe dans le verre, l’épaisseur du lin, la légèreté du coton. Une arythmie du quotidien, des jours profanes, où chaque jour est maudit car aucun n’est Saint. Insolente indolence, des après-midi endormis, de la fraîcheur fugace de l’aube au vent tiède du soir. Synesthésie des sens, kaléidoscope d’émotions, de la liesse d’un fou rire à la détresse d’une énième mort, de la fureur d’une offense à la terreur d’une arme chargée sur la tempe. Ici, vivent les damnés, les pestiférées, les renégats et les bâtardes. Les oubliées, les évadés, ces malheureux qui n’avaient aucune chance ailleurs et ces fous qui avaient pourtant le choix. Une insulte à la société, une erreur de l’Histoire, une ode à la violence. Nassau, un coin du temps et de l’espace où viennent mourir celles et ceux à qui on a interdit de vivre.

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