
En lisant la série Ruth Wolff, pirate, le lecteur rencontrera de nombreux termes en lien avec la navigation à la voile. Ce vocabulaire a volontairement été sauvegardé, au lieu d’être édulcorer par des mots plus génériques. Car si un champ lexical plus accessible aurait facilité la fluidité de la lecture, il aurait ce faisant nier toute la spécificité et la beauté du langage maritime.
Ruth Wolff, pirate, ce n’est pas un roman où la mer n’est qu’un décor. Elle est le ciment de la communauté des marins, les navires en sont les outils, et par eux, se transmettent une culture riche d’histoire et de complexité. Le langage maritime n’est pas un dialecte fumeux fait pour embrouiller les néophytes. C’est un langage technique riche de sens. Quiconque a été sur un voilier sait que le marin ne peut donner d’ordres vagues et flous. Chaque élément, chaque cordage, chaque espar, a son nom propre. Et ce n’est pas une fantaisie de marin épris de poésie. C’est une nécessité.
Dans cet article, nous survolerons les notions de voile élémentaires. C’est-à-dire, quels sont les principaux cordages d’un voilier, les différentes « allures », le rôle de chaque voile, et quelques évolutions expliquées sommairement.
Les principaux cordages :
Avant d’aller plus loin, il est bon de souligner qu’un trois-mâts comptent entre cent-cinquante et deux-cent cinquante points de tournage. Un point de tournage étant l’endroit (le point) du navire où un cordage est tourné (c’est-à-dire, « attaché » au pont, par le moyen d’une pièce de bois, qui sera un cabillot ou taquet.
Les cordages décrits ici sont en fait des grandes catégories, dans lesquels on peut retrouver des dizaines de cordages. Par exemple, chaque voile carrée dispose de deux bras, et parfois de contre-bras. Chaque voile a ses deux écoutes. Etc, etc. C’est donc une liste non-exhaustive.
Les drisses : elles servent à hisser (drisse, hisse, la sonorité peut servir de moyen mémo-technique) une voile, ou une vergue.
Les basse-voiles des navires carrés (grand-voile et misaine) sont enverguées sur des vergues fixes. Les huniers (juste au-dessus des basse-voiles), sont parfois fixes, parfois mobiles (on dit alors qu’ils sont volants). Les perroquets sont toujours volants.
Quand les voiles sont fixes, il n’y a pas besoin de drisse pour hisser la vergue, elle est déjà à poste. Quand elles sont volantes, on doit d’abord hisser la vergue avant d’envoyer la voile.
Les écoutes : ce sont les cordages les plus importants dans le réglage de la voile. Sur une voile carrée, elles se trouvent aux coins inférieurs, des deux bords. En bordant (c’est-à-dire en tirant dessus) l’écoute, on réduit l’angle d’incidence de la voile avec le vent. En la choquant (c’est-à-dire en lui donnant du mou), on l’augmente. Plus on se rapproche des allures portantes (voire paragraphe suivant), plus on choque les écoutes.
Les amures : on ne les trouvera que sur les basse-voiles d’un navire carré. L’amure du côté du vent sera raidie.
Les bras : ils sont frappés (amarrés) en bout de vergue. Leur point de tournage sur le pont se trouve en arrière de la voile. Quand on brasse (quand on tire sur les bras), on oriente la vergue (et donc, la voile) par rapport au vent.
Les rabans : quand la voile est bien rangée, ferlée (serrée) contre la vergue, et qu’on veut l’envoyer, on commence par monter dans la mâture, et on vient se ranger le long de la vergue. Les gabiers défont les nœuds des rabans, ces petits cordages amarrés à la vergue, qui retiennent la voile contre elle.
Les cargues : une fois la voile dérabantée, elle s’affale en partie vers le bas. Elle est encore retenue à la vergue par des cargues. On dit que la voile est carguée. Les cargues sont tournées sur le pont. Quand on veut envoyer la voile, il suffit de les larguer : la voile, libérée, s’affale vers le pont. Il n’y a plus qu’à border les écoutes et brasser.
Les garcettes de ris : ce sont de tout petits cordages, que l’on trouve sur la face antérieure et postérieure de la voile. Ils forment ce qu’on appelle une bande de ris. Sur les basse-voiles, il n’y en a qu’une. Mais sur les huniers, on en trouve trois. Par brise un peu fraîche, on ordonna de prendre un (ou des) ris. Une fois les écoutes mollies, les gabiers monteront sur la vergue, comme s’ils allaient serrer une voile. Ils tireront dans leurs bras la voile et la retrousseront contre la vergue, jusqu’à la première, deuxième, ou troisième bande de ris (selon les ordres). Quand ils auront accès aux garcettes, ils les noueront ensemble contre la vergue. Cette manœuvre permet de réduire la surface de la voile, donc de soulager la tension dans le gréement, tout en gardant de la toile.
Les hale-bas : comme leur nom l’indique, ils servent à haler une voile vers le bas, donc à l’affaler. Les hale-bas se retrouvent sur les voiles d’axe, c’est-à-dire les focs et les voiles d’étai.

Les différentes allures

L’allure, c’est le cap du voilier par rapport au vent. Pour que les voiles « portent », c’est-à-dire qu’elles prennent bien le vent de façon à faire avancer le bateau, il faut régler leur angle par rapport au vent (c’est l’angle d’incidence).
Bâbord amures, tribord amures :
L’amure, dans ce contexte, est le bord d’où le navire reçoit le vent.
Les différentes allures en bref :
Quand on est face au vent (ou bout’ au vent, ou vent debout), le navire n’avance pas. Voire même, il cule (recule), s’il s’agit d’un navire à voiles carrées. Car alors, les voiles se retrouvent à contre (elles prennent le vent sur leur face avant).
Au près, l’angle d’incidence est très restreint. Les navires à voiles carrées font un très mauvais près par rapport aux voiliers à voiles auriques ou bermudiennes. Au près, il faut rester vigilant à ne pas faire chapelle, c’est-à-dire masquer les voiles à contre. Car alors, le navire ne serait plus manœuvrant. C’est au près que l’on sent le plus le vent, car le vent réel se combine au vent vitesse (le vent vitesse, c’est ce même vent que vous créez quand vous faites du vélo), vu qu’ils sont tous deux dans le même sens. C’est aussi à cette allure que le navire gîte le plus (qu’il penche sous l’action du vent).
Plus on se rapproche du travers, plus on ouvre les voiles pour qu’elles continuent de bien porter. Ouvrir les voiles, c’est agrandir leur angle d’incidence avec le vent. Sur le bateau, cela se traduit par choquer les écoutes et les bras sous le vent (et en reprenant ceux au vent).
Quand le vent passe sous l’arrière du travers, on passe aux allures dites « portantes ». Du travers au vent arrière, on dit qu’on est au portant. On continue d’ouvrir les voiles. Le navire gîte moins. Au vent arrière, on dit d’un navire à voiles carrées qu’il est « brassé carré », car ses voiles sont brassées (orientées grâce aux bras) perpendiculairement à l’axe du navire. Au vent arrière, le vent vitesse et le vent réel s’annulent, ce qui donne l’illusion qu’il n’y a plus de vent.

Les évolutions :
Lofer : on lofe quand on prend un cap plus près du vent.
Abattre : s’éloigner du lit du vent.
Louvoyer : tirer des bords, face au vent. Le navire va faire sa route au près sous une amure pendant un temps, puis virer de bord et faire route sous l’autre amure, ainsi en zig-gazant. La route va être ainsi trois fois plus longue que si on traçait une route directe.
A gauche : Un virement vent devant à bord d’un voilier dont les voiles sont dans l’axe.
A droite : un virement de bord lof pour lof (vent arrière) à bord d’un trois-mâts.
Le virement de bord :
Virer de bord, c’est changer d’amure, donc changer le bord qui reçoit le vent. On peut le faire vent devant, ou vent arrière.
Un virement vent arrière sur un navire à voiles carrées est appelé un virement « lof pour lof ». Le lof étant le bord au vent de la voile.
L’avantage de le faire vent devant, c’est que s’il est bien fait, on perd très peu de terrain, contrairement au virement lof pour lof. Cependant, sur un navire à voiles carrés, il est plus difficile de virer vent devant que vent arrière.
C’est ainsi qu’on peut juger de la grande différence entre voiles carrées et voiles d’axe, quand il s’agit de louvoyer. Les navires à voiles carrées faisant déjà un très mauvais près en raison de leur gréement, ils sont aussi handicapés s’ils ne sont pas assez nombreux et compétents à bord pour faire des virements vent devant. A chaque virement lof pour lof, ils perdront du terrain. Alors qu’un navire à voile aurique par exemple, pourra serrer le vent de plus près, et en plus, virer vent devant sans difficulté.

A droite : il vire vent arrière. A chaque fois, il perd du terrain pour regagner son cap.
Ces précisions ne suffisent en rien à comprendre toutes les complexités de la navigation à la voile à bord de vieux gréements. Mais elles permettront au lecteur néophyte de mieux comprendre les enjeux des manœuvres auxquelles Ruth participe, et donc d’avoir une lecture plus fluide et de mieux s’immerger dans l’univers de la série.
Ping : « A l’abordage ! » ou pas… Part. 1 – Sandra Basso
J’ai demandé dans la recherche comment fait donc un navire à voiles carrées pour faire route contre le vent…
J’ai ma réponse : il vire de bord, mais par l’arrière (en fuite) et donc, à vue de pif sur le schéma, il lui faut faire entre 5 et 6 fois de chemin total pour une seule mesure de chemin utile. Sapristoche, c’est là qu’on se rend compte qu’une traversée pouvait durer des mois… Moi qui n’ai navigué que sur des voiliers de plaisance à voiles axiales, ça m’en a bouché un coin. Effectivement, ce doit être TRES difficile de mener des bateaux pareils !
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Oui, c’est assez dingue comment on perd du terrain quand on vire lof pour lof ! Et puis à l’époque, il y avait aussi la contrainte du vent, être encalminé plusieurs jours à quelques milles de la destination, après des semaaaaines de navigation, la frustration !
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Ça explique aussi les gros équipages nécessaires sur ces bateaux, qu’on considérerait maintenant comme pléthoriques. Et aussi le doublage pénible du cap Horn à l’aller quand on sait que les vents dominants sont WSW en quasi permanence et rarement moins de 7. J’ai navigué par là sur un supply en hiver austral et ça n’était déjà pas un plaisir de bosser sur le pont aussi j’imagine ce que ça pouvait être de passer 12 heures par jour dans la mature au vent et au froid. On dit même que celui qui tombait à l’eau était perdu tant il était difficile et inutile de le rechercher du fait de la température de la mer.
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